Retour au sommaire
Retour aux liens


LE CORNET À DÉS


La guerre
Fausses nouvelles ! Fosses nouvelles !
Poème déclamatoire
Le chapeau de paille d'Italie
Traduit de l'allemand ou du bosniaque
Le soldat de Marathon
Équatoriales solitaires
Ils ne reviendront plus
Générosité espagnole
Une de mes journées
Un sourire pour cent larmes
Vie et marée
Jugement des femmes
Ruses du démon pour ravoir sa proie
Douloureux appel final aux fantômes inspirateurs du passé









LA GUERRE


Les boulevards extérieurs, la nuit, sont pleins de neige ; les bandits sont des soldats ; on m'attaque avec des rires et des sabres, on me dépouille : je me sauve pour retomber dans un autre carré. Est-ce une cour de caserne, ou celle d'une auberge ? que de sabres ! que de lanciers ! il neige ! on me pique avec une seringue : c'est un poison pour me tuer ; une tête de squelette voilée de crêpe me mord le doigt. De vagues réverbères jettent sur la neige la lumière de ma mort.








FAUSSES NOUVELLES! FOSSES NOUVELLES!


A une représentation de Pour la Couronne, à l'Opéra, quand Desdémone chante " Mon père est à Goritz et mon coeur à Paris ", on a entendu un coup de feu dans une loge de cinquième galerie, puis un second aux fauteuils et instantanément des échelles de cordes se sont déroulées ; un homme a voulu descendre des combles : une balle l'a arrêté à la hauteur du balcon. Tous les spectateurs étaient armés et il s'est trouvé que la salle n'était pleine que de... et de... Alors, il y a eu des assassinats du voisin, des jets de pétrole enflammé. Il y a eu des sièges de loges, le siège de la scène, le siège d'un strapontin et cette bataille a duré dix-huit jours. On a peut-être ravitaillé les deux camps, je ne sais, mais ce que je sais fort bien c'est que les journalistes sont venus pour un si horrible spectacle, que l'un d'eux étant souffrant, y a envoyé madame sa mère et que ce1le-ci a été beaucoup intéressée par le sang-froid d'une jeune gentilhomme français qui a tenu dix-huit jours dans une avant-scène sans rien prendre qu'un peu de bouillon. Cet épisode de la guerre des Balcons a beaucoup fait pour les engagements volontaires en province. Et je sais, au bord de ma rivière, sous mes arbres, trois frères en uniformes tout neufs qui se sont embrassés les yeux secs, tandis que leurs familles cherchaient des tricots dans les armoires des mansardes.








POÈME DÉCLAMATOIRE


Ce n'est ni l'horreur du crépuscule blanc, ni l'aube blafarde que la lune refuse d'éclairer, c'est la lumière triste des rêves où vous flottez coiffées de paillettes, Républiques, Défaites, Gloires! Quelles sont ces parques ? quelles sont ces Furies ? est-ce la France en bonnet phrygien ? est-ce toi, Angleterre ? est-ce l'Europe ? est-ce la Terre sur le Taureau-nuage de Minos ? Il y a un grand calme dans l'air et Napoléon écoute la musique du silence sur le plateau de Waterloo. Ô Lune, que tes cornes le protègent! il y a une larme sur ses joues pâles! si intéressant est le défilé des fantômes. " Salut à toi! salut! nos chevaux ont les crinières mouillées de rosée, nous sommes les cuirassiers! nos casques brillent comme des étoiles et, dans l'ombre, nos bataillons poudreux sont comme la main divine du destin. Napoléon! Napoléon! nous sommes nés et nous sommes morts. Chargez! chargez! fantômes! j'ordonne qu'on charge! " La lumière ricane: les cuirassiers saluent de l'épée et ricanent ; ils n'ont plus ni os, ni chair. Alors, Napoléon écoute la musique du silence et se repent, car où sont les forces que Dieu lui avait données ? Mais voici un tambour! C'est un enfant qui joue du tambour: sur son haut bonnet à poils, il y a un drap rouge et cet enfant là est bien vivant: c'est la France! Ce n'est ici maintenant autour du plateau de Waterloo, dans la lumière triste des rêves où vous flottez, coiffées de paillettes, Républiques, Défaites, Gloires, ni l'horreur du crépuscule blanc, ni l'aube blafarde que la lune refuse d'éclairer.








LE CHAPEAU DE PAILLE D'ITALIE


A l'endroit où Alger fait pressentir Constantinople, les épaulettes d'or ne furent plus que des branches d'acacia ou réciproquement. La mode est aux grappes de raisin en celluloïd, les dames les pendent en bijoux partout. Un cheval ayant mangé les boucles d'oreilles d'une de mes belles amies est mort empoisonné, le carmin de son museau et la fuchsine du jus de la treille composant un poison mortel.








TRADUIT DE L'ALLEMAND OU DU BOSNIAQUE
A Madame Édouard Fillacier

Mon cheval s'arrête! Arrête aussi le tien, compagnon, j'ai peur! entre les pentes de la colline et nous, les pentes gazonnées de la colline, c'est une femme, si ce n'est pas un grand nuage. Arrête! elle m'appelle! elle m'appelle et je vois son sein qui bat! son bras me fait signe de la suivre, son bras... si son bras n'est pas un nuage.
- Arrête, compagnon, j'ai peur, arrête! entre les arbres de la colline, les arbres inclinés de la colline, j'ai vu un oeil, si cet oeil n'est pas un nuage. Il me fixe, il m'inquiète; arrête! Il suit nos pas sur la route, si cet oeil n'est pas un nuage.
- Écoute, compagnon! fantômes, vies de cette terre ou d'une autre, ne parlons pas de ces êtres à la ville pour n'être pas traités d'importuns.








LE SOLDAT DE MARATHON


C'est fête à l'Asile des Aliénistes : les sentiers de ce domaine, la nuit, sont envahis par une foule aimable et un peu craintive. Il y a çà et là de petites tables de bois où une bougie est protégée par un verre et où l'on vend des bonbons : tout s'est passé correctement à ceci près que, pendant la représentation théâtrale donnée par les malades, l'un d'eux qui faisait le râle d'un sir ou lord quelconque se jetait à terre fréquemment dans une pose célèbre et criait: " C'est moi qui suis le soldat de Marathon ! " Il fallait que des gens à coupe-files vinssent le rappeler à la raison, au présent, aux présences, aux préséances, mais ils n'osaient se servir du bâton à cause du présent, des présences, des préséances.








ÉQUATORIALES SOLITAIRES


Quatre doigts de pied noueux servent de frisures au taureau haut qui n'est qu'un homme et qui combat, bas! Les fourneaux sont des maisons qui ne paient pas d'impôts des portes et fenêtres, naître! langues ou trompes en sortent. Sur les marches qui marchent car ce sont toutes les bêtes errantes de la création, le Bouddha, qui ennoblit une feuille bordée d'or, tient une bourse avec l'intention d'en faire des colliers pour plus tard. Ne vous en effrayez pas! ce n'est qu'une bordure, dure! Mais à double entente. Il a tant plu sur tout cela qu'une épine a poussé là qui leur passe au travers avec une sollicitude insolente ou insolite. Un million de souris... de sourires.








ILS NE REVIENDRONT PLUS


Quand reviendront les fossoyeurs devant la tombe d'Ophélie ? Ophélie n'est pas encore dans son immortelle tombe ; ce sont les fossoyeurs qu'on y mettra si le cheval blanc le veut. Et le cheval blanc ? il vient chaque jour brouter les cailloux. C'est le cheval blanc de l'auberge du Cheval-Blanc devant la tombe. Il a trentesix côtes. La tombe est une fenêtre ouverte sur le mystère.








GÉNÉROSITÉ ESPAGNOLE


Par un Espagnol de mes amis, le roi d'Espagne m'a fait donner trois gros diamants sur une chemise, une collerette de dentelle sur une veste de toréador, un portefeuille contenant des recommandations sur la conduite de la vie. Voitures ! boulevards, visites chez des amis: la bonne couchera-t-elle avec moi ? M. S. L. a tendu la main à G. A. qui la lui a refusée sans motifs. Je suis raccommodé avec les Y... Or, voici qu'à la Bibliothèque nationale je m'aperçois que je suis surveillé. Quatre employés s'avancent vers moi avec une épée de poupée chaque fois que je cherche à lire certains livres. Enfin un tout jeune groom s'avance: " Venez! " me dit-i1. Il me montre un puits caché derrière les livres; il me montre une roue de planches qui a l'air d'un instrument de supplices : " Vous lisez des livres sur l'Inquisition, vous êtes condamné à mort! " et je vis que sur ma manche on avait brodé une tête de mort: " Combien? dis-je. Combien pouvez-vous donner ? - Quinze francs. C'est trop, dit le groom. - Je vous les donnerai lundi. " La générosité du roi d'Espagne avait attiré l'attention de l'Inquisition.








UNE DE MES JOURNÉES


Avoir voulu puiser de l'eau à la pompe avec deux pots bleus, avoir été pris de vertige à cause de la hauteur de l'échelle ; être revenu parce que j'avais un pot de trop et n'être pas retourné à la pompe à cause du vertige ; être sorti pour acheter un plateau pour ma lampe parce qu'elle laisse le pétrole l'abandonner ; n'avoir pas trouvé d'autres plateaux que des plateaux à thé, carrés, peu convenables pour des lampes et être sorti sans plateau. M'être dirigé vers la bibliothèque publique et m'être aperçu en chemin que j'avais deux faux cols et pas de cravate; être rentré à la maison ; être allé chez M. Vildrac pour lui demander une Revue et n'avoir pas pris cette Revue parce que M. Jules Romains y dit du mal de moi. N'avoir pas dormi à cause d'un remords, à cause des remords et du désespoir.








UN SOURIRE POUR CENT LARMES


Le cheval respire avec peine : la drogue qu'il reçut pour lui donner du zèle a trahi le projet! et les idoles au faîte des monts ne paraissent pas encore. L'homme insensé piquait les flancs de son cheval et l'univers n'était pas plus grand qu'une calebasse. L'étendard de fumée marquait le sol natal. Reculer? jamais on n'est sorti d'ici. Plus avant ? hélas! le cheval va mourir sur place. Mais voici qu'on entend des musiques dans l'air, c'est comme si l'on grillait de l'idéal. Le printemps joue aux boules avec des arbres verts, et quarante poulains sont vomis par le val.








VIE ET MARÉE


Quelquefois, je ne sais quelle clarté nous faisait entrevoir le sommet d'une vague et parfois aussi le bruit de nos instruments ne couvrait pas le vacarme de l'Océan qui se rapprochait. La nuit de la villa était entourée de mer. Ta voix avait l'inflexion d'une voix d'enfer et le piano n'était plus qu'une ombre sonore. Alors toi, calme, dans ta vareuse rouge, tu me touchas l'épaule du bout de ton archet, comme l'émotion du Déluge m'arrêtait. "Reprenons!" dis-tu. O vie ! ô douleur ! ô souffrances d'éternels recommencements ! que de fois lorsque l'Océan des nécessités m'assiégeait ! que de fois ai-je dit, dominant des chagrins trop réels ! hélas ! " Reprenons! " et ma volonté était comme la villa si terrible cette nuit-là. Les nuits n'ont pour moi que des marées d'équinoxe.








JUGEMENT DES FEMMES


Aux enfers, Dante et Virgile inspectaient un baril tout neuf. Dante tournait autour. Virgile méditait. Or ce n'était qu'un baril de harengs saurs. Ève toujours belle habite en ces lieux courbée par le désespoir bien qu'elle ait à sa nudité la consolation d'un nimbe. Ève se pinçant le nez déclara: " Oh! mais cela sent mauvais! " et elle s'éloigna.








RUSES DU DÉMON POUR RAVOIR SA PROIE


Le quai sombre, en triangle de donjon, hérissé de platanes l'hiver, squelettes trop jolis sur l'échancrure du ciel. A l'auberge vivait avec nous une femme belle, mais plate, qui cachait ses cheveux sous une perruque ou du satin noir. Un jour au-dessus du granit, elle m'apparut au plein solei1 de la mer : trop grande - comme les rochers du coin - elle mettait sa chemise, je vis que c'était un homme et je le dis. La nuit sur une espèce de quai londonien j'en fus châtié : éviter le coup de couteau à la face ! se faire abîmer le pouce ! riposter par un poignard dans la poitrine à la hauteur de l'omoplate. L 'Hermaphrodite n'était pas mort. Au secours ! au secours ! on arrive... des hommes, que sais-je ? ma mère ! et je revois la chambre d'auberge sans serrure aux portes : il y avait, Dieu merci, des crochets mais quelle malignité a l'hermaphrodite : une ouverture du grenier, un volet blanc remue et l'hermaphrodite descend par là.








DOULOUREUX APPEL FINAL AUX FANTOMES INSPIRATEURS DU PASSÉ


Je suis né près d'un hippodrome où j'ai vu courir des chevaux sous des arbres. Oh! mes arbres! oh! mes chevaux! car tout cela était pour moi. Je suis né près d'un hippodrome! mon enfance a tracé mon nom dans l'écorce des châtaigniers et des hêtres! hélas! mes arbres ne sont plus que les plumes blanches de l'oiseau qui crie: " Léon! Léon! " Oh! souvenirs diffus des châtaigniers somptueux où j'inscrivis, enfant, le nom de mon grand-père! Diffus souvenirs des courses! jockeys! ce ne sont plus que de pauvres jouets tels qu'on les verrait de loin! les chevaux n'ont plus de noblesse et mes jockeys sont casqués de noir. Allons, tournez! tournez! vieilles pensées emprisonnées qui ne prendront jamais l'essor! le symbole qui vous sied n'est pas le galop élastique des jockeys dans la verdure, mais quelque poussiéreux bas-relief qui cacherait à ma douleur des châtaigniers d'automne où le nom de mon grand-père est écrit.




Retour aux liens