UN PARRAIN DE BAPTEME : PICASSO
MAX JACOB AU MUSEE PICASSO (PARIS , 1994)


Carte postale adressée à Picasso pour son anniversaire du 24 octobre 1921



     Le parcours est chronologique. Deux parties de vie. La rencontre remonte à 1901 et constitue le début de l'exposition. Max Jacob a 25 ans. Picasso 20 ans. C'est Max Jacob qui a demandé à rencontrer des oeuvres de l'exposition organisée à la Galerie Vollard, à Paris, du 25 juin au 14 juillet 1901,

" EXPOSITION DE TABLEAUX
DE F. ITURRINO ET DE P-R. PICASSO ".


     Le petit catalogue de l'exposition s'ouvre sur une page de présentation signée de l'organisateur, Gustave Coquiot. C'est Iturrino qui a la part belle et quelques lignes seulement sont exclusivement consacrées à Picasso. Ainsi Coquiot écrit en ébauchant une comparaison :

" L'un barbare, presque hostile, exprimant sur de rudes toiles d'âpres aspects humains et des sites hérissés ; l'autre plus sollicité par des sujets divers, plus inquiet peut-être. "

     L'un, Iturrino. L'autre, Picasso...
     Picasso présente 16 toiles. Outre un Portait de l'artiste, Portrait de M. Iturrino, quelques titres que n'aurait pas désavoué la sensibilité d'un Lautrec, par exemple: Femmes nues, La Morphinomane (oeuvre qui sera intitulée La Pierreuse à partir de 1902), L'Absinthe ou La Buveuse. L'amitié entre Max Jacob et Picasso sera chaleureuse et l'autre sera le motif de certaines oeuvres. Alacrité gouailleuse pour Picasso qui intitule, en janvier 1903, une encre de Chine constituée de 8 tableaux séquences, Histoire claire et simple de Max Jacob ou la récompense de la vertu. On y voit, dans l'un d'entre eux, Max Jacob danser en scandant " olé! olé! ". Hommage plus respectueux de Max Jacob qui représente Picasso en acrobate en 1905.
     A ce propos il convient de dissiper des interrogations ou doutes formulés par des exégètes qui se fondent sur des ambiguïtés sémantiques (au mépris des témoignages concordants des contemporains) quant à la nature des relations entre Max Jacob et Picasso. On sait que Max Jacob était homosexuel ( " J'ai été sodomite avec ardeur mais sans joie " s'accusait-il), mais lorsque Henri Hertz écrit dans le numéro que la revue Europe consacra en 1958 à Max Jacob :

" Ce fut le temps des longues visites dans l'appentis de la rue Ravignan, puis dans le sombre gourbis de la rue Gabrielle. On y rencontrait Picasso ou on allait le voir, en passant, au " Bateau Lavoir " . Ils avaient partagé leur pain. Ils allaient de brouille en brouille, d'étreinte en étreinte. "

     Il s'agit bien sûr des embrassades à l'espagnole !
     Max Jacob devait connaître un seul et bref amour dans sa vie (bref comme il sied à la passion) pour une certaine Cécile Acker dont il donne à voir un sévère visage (portrait vers 1903). A ce propos, Picasso rentré en Espagne, lui adresse une lettre datée du 28 septembre 1903 et expédiée de Barcelone. Lettre encore plus savoureuse en raison du sabir " fragnol " (mélange de français et d'espagnol) de Picasso :

" Mon cher et vieux Max


[ . . . ] et toi et bien amouré de ta pas belle et pas très-fine 1 de famme marié ; o les amours.
[ . . . ] il faut que toi la vexes beaucoup pas que comé ça ça passera plus vitte .
[...] Adieu mon Vieux et je te ambrase.

Picasso "

    La rupture entre Max et Cécile interviendra bientôt. L'amitié entre Pablo et Max ne se dément pas. Les références croisées se multiplient. L'hommage du cœur se double parfois d'une officielle collaboration. L'exposition en présente des exemples, tous particulièrement nombreux jusqu'en 1916.
     En 1905, ils adressent une commune carte de vœux à Apollinaire pour sa fête (gouache et encre sur carte postale). En 1907, Picasso qui travaille à la composition d'ensemble de ce qui deviendra Les demoiselles d'Avignon place un marin au milieu des prostituées et un homme en costume de ville qui entre sur la gauche du tableau. Si l'on se réfère à un autre portrait de Max Jacob portant vareuse cette fois, datant de la même époque, ce petit homme pourrait bien être le poète.
     En 1907 également, Max Jacob fait des Dessins unilinéaires en revendiquant plaisamment l'influence de Picasso. Sur une feuille à entête du Café Restaurant de la Place Blanche, Max Jacob a dessiné un garçon boucher et écrit: " procédé Picasso appliqué à l'industrie - un garçon boucher " !
     Henri Kahnweiler ayant acheté des manuscrits à Max Jacob, il sollicite des illustrations de Picasso. Et c'est ainsi, quatre planches ayant été finalement retenues, qu'est annoncé :

" En souscription pour paraître le 15 décembre 1910
Saint Matorel
illustré d'eaux-fortes par Pablo Picasso. "

     Dans une oeuvre de 1914, Nature morte avec verre et jeu de cartes, Picasso insérera par collage un bulletin de souscription pour La côte (oeuvre de Max Jacob publiée en 1911), tel un hommage du peintre au poète.
     Max Jacob continue d'ailleurs de peindre et les deux artistes se côtoient, en 1916, au Salon d'Antin à Paris qui organise une exposition : L'art moderne en France. Le catalogue mentionne des oeuvres de Modigliani (Italien) Portrait, Picasso (Espagnol) Les demoiselles d'Avignon et deux Paysage (pastels) de Cyprien Max Jacob (Breton) (!). L'année précédente, suite à son apparition miraculeuse, Max Jacob s'est fait baptisé sous ces prénoms. Son parrain, Pablo Picasso, lui offre, en souvenir de ce jour, L'imitation de Jésus Christ. Sur le registre des baptêmes de la chapelle Notre-Dame de Sion, diocèse de Paris, on peut lire (numéro 2 du 18 février 1915) que Cyprien Max Jacob est baptisé :

" Ayant renoncé à l'aveuglement des juifs et reconnu notre Seigneur Jésus Christ pour le Messie promis par les Saintes Ecritures de l'Ancien Testament. "

     On sait que, lassé de l'existence de vibrion qu'il ne peut s'empêcher de mener à Paris, Max Jacob décide de s'éloigner. Il s'installe en 1921 à Saint-Benoît-sur-Loire. Il y restera jusqu'en 1928 à part un voyage en Italie, un autre en Espagne et un bref séjour à Paris. Il se fixera de nouveau à Saint-Benoît en 1936 et y demeurera jusqu'à son arrestation en 1944. Les liens avec Picasso ne seront plus aussi fréquents et forts et Max Jacob s'en désolera avec amertume parfois.

     Mais l'exposition montre, et ce n'est pas le moindre apport, que l'ami qui avait " réussi " n'oubliera jamais Max Jacob. Ainsi, le soir du 1er janvier 1937, Picasso arrive à l'improviste pour dîner à Saint-Benoît. Et cette année qui est déjà celle de la montée des périls qui seront fatals à Max Jacob en raison de son origine juive, voit la publication d'un poème de Max Jacob dans le numéro de Noël du bi-mensuel franco-espagnol Occident. D'habitude, mieux inspiré, Max Jacob a procuré un poème intitulé Douleur (6 quatrains en alexandrins) à l'organe franquiste. On peut lire ces vers :

" A l'orguei1 du nocher, i1 faut des catastrophes,
Au poète chrétien le spectacle des gens. "

     Sur cette page, la photographie de Max Jacob (en haut à gauche) fait pendant à celle du générallissime D. Francisco Franco sur la droite...
     Quelques années plus tard, le fascisme hitlérien entraînera la mort du poète au camp de Drancy. Un certain nombre de documents sont connus, d'autres sont exceptionnels, comme le testament de Max Jacob ou ce beau portrait que Max Jacob fit de Picasso au début de l'année 1944 et qui se trouvait sur sa table de travail au moment de son arrestation.
     Max Jacob continua à être dans les pensées de Picasso. Il en fait à nouveau un portrait en septembre 1953 et, à l'occasion de Caricatures (mars 1958), Picasso désigne l'un des personnages croqués par une large flèche et inscrit : " Il ressemble à Max Jacob ".

     Quelques repères pour un bel hommage qui évite néanmoins l'hagiographie. L'exposition parisienne se doit de comporter en outre la présentation de l'importante oeuvre de Picasso Les trois musiciens (1921) qui se trouve habituellement au MOMA (une seconde version peinte simultanément, Les trois Masques, se trouve au musée de Philadelphie). Trois personnages: un Pierrot, un Arlequin et un moine. Respectivement, semble-t-il, Apollinaire (qui a disparu trois ans plus tôt), Picasso et Max Jacob qui vient de s'enfuir en cette fin d'année 1921 dans sa retraite près de l'abbaye bénédictine). A lui seul ce tableau justifierait la visite de l'exposition.

     Amitié entre un Arlequin et un moine qui sut aussi être Arlequin. Amitié fondée en ce début de siècle sur une réciproque générosité. Générosité également matérielle de la part de l'impécunieux Max Jacob qui partageait avec ses amis, tous les témoignages concordent, lorsqu'il était en possession de quelque viatique. L'un des textes les plus célèbres du Cornet à dés ( 1917), intitulé Générosité espagnole peut-être considéré comme l'écho littérairement sublimé de cette période. Citons le début :

Par un Espagnol de mes amis
le roi d'Espagne m'a fait donner
trois gros diamants sur une
chemise, une collerette de dentelle
sur une veste de toréador, un
portefeuille contenant des
recommandations sur la conduite de la vie .

     Sur la conduite de la Vie …



1 - Soulignés par Picasso.

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